Photo Sebastiann Stam
Solution contre le désert économique
En Europe, les régions touchées par le chômage négocient avec les multinationales et autres grandes entreprises l'implantation de leurs centres d'appels sur leurs terres. Effectivement, en période de crise, le secteur de la relation client est le seul secteur qui recrute. D'un côté, les grands groupes ont des employés disponibles, malléables et dociles. De l'autre côté, les régions se redynamisent et font baisser le chômage. Les emplois proposés sont souvent précaires, avec des horaires flexibles (week-end inclus) et des tâches aliénantes. Malgré tout, les demandeurs d'emploi, en majorité des jeunes, profitent de cette occasion pour sortir de l'ornière. D'après les dernières statistiques de la SC2P, le lobby national des sous-traitants, en France, 1 % de la population active travaillent dans un centre d'appel – l'équivalent de plus de 260 000 emplois répartis sur 3 500 sites.
Ce jeune secteur est aussi en proie à des restrictions budgétaires. En effet, les grandes entreprises profitent de la mondialisation pour délocaliser leur plate-forme dans des pays où la masse salariale est plus faible. Ainsi, le service client de Renault se trouve au Maroc, celui d' SFR en Tunisie, ceux de grandes banques françaises se sont installées au Portugal, et, grâce à accords fiscaux avantageux, Apple s'est implanté en Irlande. À travers des intermédiaires ou des sociétés spécialisées dans la relation client (Téléperformance, Webhelp, Sitel, B2S, Armato, ...), les centres d'appels sont gérés à moindres coûts tout en augmentant la flexibilité. À la moindre secousse ou si une offre est encore plus avantageuse ailleurs, les grandes entreprises peuvent décider de fermer le projet sans avoir à se préoccuper des tâches administratives qui en découlent.
Photo Oriol Pascual
Une mécanique bien rodée
Le service client est un élément-clé dans la fidélisation d'un client. En effet, un client heureux et bien renseigné peut devenir un client fidèle et aide à la bonne réputation de la marque. Si la qualité d'un centre d'appels est dégradée, les répercutions sur l'image de marque, sur le potentiel commercial et sur les résultats peuvent être catastrophiques. Pour ces raisons, les décisions managériales sont souvent issues de procédures décidées par les directions.
Dans les centres d'appels (ou call-center), c'est souvent le même scénario ; les agents se retrouvent dans de grandes salles, en open space, un casque vissé sur la tête, à débiter les mêmes phrases pré-mâchées. Ils doivent satisfaire les chiffres et faire, traiter ou recevoir un nombre minimum d'appels par heure (CPH = Call Per Hour) et répondre à des KPI (Key Performance Indicator). Tout cela avec le sourire et l'empathie afin que le client se sente compris. La majorité des structures fonctionnent avec les mêmes outils de management et les mêmes objectifs de performance.
A contrario, le distributeur en ligne Zappos a démontré que le CPH n'est pas productif et que l'empathie est indispensable pour générer des ventes en battant le record de la conversation la plus longue avec un client (10 heures et 29 minutes) pour conclure une vente. D'ailleurs, d'après le blog.axialys.com, des sondages en 2018 montrent que les Français souhaitent des services clients plus humanisés. 29 % des Français souhaitent que d’ici une décennie, tout au plus, ils ne soient confrontés qu’à un seul interlocuteur pour le traitement de leurs demandes. 93 % des Français estiment que la qualité de la relation client d’une entreprise a un impact sur son image globale, ce qui est donc déterminant dans le choix d’une entreprise par rapport à une autre. Un autre sondage d'Accenture Strategy de 2018, 66 % des clients quittent une entreprise en raison d’un service client jugé non-performant.
Les chiffres parlent d' eux-mêmes.
L'aliénation comme mot d'ordre
Le monde des call-center se révèle un brin désabusé par les nouvelles techniques de management. Certains agents se plaignent des conditions de travail aliénantes, robotisantes et qui n'apportent aucune satisfaction. De plus, il y a eu de perspective d'évolution pour les agents. Pour la majorité des plate-formes, il y a des restes strictes à respecter – pas de téléphone, ni de papier et stylo sur les tables ; respect des temps de pause à la minute près, demande préalable pour aller au petit coin ou encore, interdiction de parler avec ses voisins pendant les heures de travail. Les agents sont contrôlés et surveillés en permanence par des chefs d'équipe incompétents et nullement formés à gérer une dizaine de personnes. L'atmosphère de travail peut devenir rapidement délétère et l'humain est mis de côté. Les nerfs des agents sont mis à rude épreuve. Entre le flicage constants et les clients mécontents, on ne compte plus le nombre de personnes qui finissent en pleurs à la fin de la journée ou en crise de nerfs. La mise en place de syndicat des travailleurs de centres d'appels et de psychologue du travail n'y changent rien.
En conséquence, les centres d'appels subissent des grandes phases de turnover assez importants. Les managers se plaignent souvent de ne pas réussir à garder leurs effectifs. Les départements des ressources Humaines de certaines entités se retrouvent désœuvrer face aux nombres croissants de départs. Dans certains pays d'Europe, les grandes sociétés de sous-traitances n'hésitent plus à présenter des conditions très attractives ; salaires élevés, logement gratuit, accès à une mutuelle, primes et bonus. Au Portugal, par exemple, un agent de call-center peut gagner deux fois plus qu'une infirmière en hôpital public.
Néanmoins, l'avenir de ces services clients et autres projets de démarchage est au beau fixe. On constate rapidement que les offres d'emploi sur Internet pullulent et les conditions pour accéder à ces emplois restent faciles. Comme le titrait un reportage d'Envoyé Spécial sur France 2 : les call-center sont-ils les nouveaux prolétaires ? Avec les éléments ci-dessus, il me semble que oui.
26/04/2020